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Le traitement des traverses (2/3)

Traverses de chemin de fer – Note de synthèse n°6

De la dessication au traitement chimique : les sites de créosotage français

L’atelier de créosotage de l’atelier de Surdon, en 19051.

Historiquement, les compagnies possédaient un ou plusieurs ateliers spécifiquement dédiés au traitement des traverses : « Steinbourg pour l’Alsace-Lorraine, Port d’Atelier et Amagne-Luquy pour l’Est, Villers-Cotterêts et Moulin-Neuf pour le Nord, Landébla et Surdon pour l’État, Bretenoux pour le P.O., Labouheyre pour le Midi, Lyon-Perrache et Collonge pour le P.L.M. »2. Plus tard, la SNCF n’a conservé que trois sites : Surdon, Port-d’Atelier et Biars-sur-Cère/Bretenoux3. Aujourd’hui, l’atelier de Biars-sur-Cère/Bretenoux est le seul en France à avoir maintenu son activité.

Une autre vue de l’atelier de Surdon, toujours au XXe siècle4.

Afin qu’elles puissent être utilisées sur les voies de chemin de fer, les traverses doivent subir plusieurs processus de transformation au sein des ateliers : la dessiccation, le frettage et le perçage, et enfin le traitement chimique à la créosote.



Après arrivage à l’atelier, les traverses équarries provenant des scieries sont soigneusement inspectées. Tout défaut jugé trop important sur une traverse, et toute longueur insuffisante de celle-ci entraîne une mise au rebut immédiate. Les traverses valides sont marquées à l’aide de clous ou d’une marque taillée dans le bois sur une ou deux extrémités.
Ensuite est mis en place le processus de dessication. Ce dernier est le fait de laisser les traverses sécher à l’air libre une fois que celles-ci ont été inspectées et marquées. La durée de séchage est différente selon les essences5, allant de 4 à 6 mois pour le hêtre, de 8 à 12 mois pour le chêne et de 12 mois minimum pour les bois tropicaux6. Cette opération vise à réduire la teneur moyenne en humidité des traverses avant l’imprégnation, qui doit être égale à 20 à 30% par rapport au poids sec7. Les traverses séchant à l’air libre sont empilées les unes sur les autres en camarteaux selon le sens des vents dominants, mais ne doivent pas entrer en contact avec le sol pour éviter toute remontée d’humidité au sein des traverses au bas de la pile : elles reposent donc sur des traverses rebutées.

Trois méthodes de stockage des traverses pour dessication : la méthode 2 reste la plus employée8.

Cette technique de dessication n’a pas varié depuis sa mise en place fin XIXe siècle, comme en témoigne cette image prise à l’atelier de Biars-sur-Cère en 2012 :

Aire de stockage des traverses disposées en camarteaux avant frettage9. Nous pouvons bel et bien noter les traverses rebutées sur lesquelles les traverses à traiter reposent, ainsi que l’utilisation de la méthode n°2 de stockage.

Lors du processus de dessication, des fentes peuvent apparaître aux extrémités des traverses. Ne pas y remédier pourrait causer des problèmes de sécurité majeurs une fois la traverse mise sur la voie. Ainsi, afin de réduire tout risque, les traverses sèches fendues peuvent être frettées. Pour ce faire, les ouvriers installent un ou plusieurs dispositifs métalliques à l’extrémité de la traverse dans le but de la solidifier. Ces dispositifs, selon les époques, peuvent prendre la forme d’esses enfoncées dans le bois, de fers présentant des boucles de fixation posés à l’aide d’outils manuels, ou, plus tard, de fils de fer soudés électriquement. Le frettage peut aussi être réalisé une fois que la traverse est mise sur la voie afin d’éviter de la remplacer directement, si l’on constate que celle-ci est seulement légèrement fendue. De nos jours, les traverses sont automatiquement frettées à l’aide d’un fil de fer avant imprégnation (voir exemple n°2 ci-dessous).

Exemple n°1 : traverse rebutée, qui fut frettée à l’aide de deux esses et d’un fer cerclé, seconde moitié du XXe siècle10.
Exemple n°2 : traverse frettée à l’aide d’un fil de fer de 7 millimètres (2004)11.

La dernière opération à réaliser avant de traiter les traverses à la créosote est l’entaillage et le perçage.

Au vu de la pluralité des types de rails qui persiste jusqu’au milieu du XXe siècle12 (rail Vignole, rail Broca dit rail à gorge, rail à double champignon symétrique et asymétrique), il existe des centaines d’entaillages différents en tenant compte à la fois du type de rail, de l’écartement de ceux-ci (voie métrique et voie normale13), et de l’inclinaison de la voie. Les traverses entaillées pour les lignes d’un réseau en particulier ne sont donc pas forcément compatibles avec les autres réseaux de chemin de fer.

Le perçage (aussi appelée sabotage jusqu’au milieu du XXe siècle) a quant à lui pour utilité de pouvoir placer dans les traverses des crampons, bientôt remplacés par des tirefonds. Il est à noter qu’en 1965 selon Camus, les chemins de fer hongrois, yougoslaves et suédois ne percent pas les traverses avant leur imprégnation ; par ailleurs la SNCF perce ses traverses de part en part alors que les chemins de fer allemand, autrichien, danois, néerlandais, polonais et portugais ne les percent qu’en partie afin d’éviter tout contact direct entre les tirefonds et le ballast, et ainsi prévenir une pénétration éventuelle dans le bois de l’humidité ou des impuretés pouvant s’infiltrer par le dessous14.


Sortons à présent du registre technique afin de nous intéresser quelques instants à un aspect plus social des ateliers de créosotage : les conditions de travail et de vie sur place.

Il ne faut pas sous-estimer les rudes conditions de travail des employés de ces ateliers dédiés aux traverses de chemin de fer. Pour évoquer l’exemple le plus éloquent, il suffit de s’intéresser au travail des coltineurs (corps de métier cousin des Forts des Halles de Paris), c’est-à-dire les ouvriers assurant la manutention des traverses, chargeant et déchargeant les traverses des chariots à arcades vers les piles de traverses en camarteaux. Pour bien situer les choses, précisons qu’une seule traverse pèse en moyenne 80 kilogrammes, et que les coltineurs en manutentionnaient plusieurs dizaines par jour, sans aide mécanisée et avec un équipement rudimentaire.

Groupe de coltineurs au travail à Biars-sur-Cère15. Notons à l’arrière-plan les traverses entaillées et percées.

Le mouvement des chariots à arcades au sein des ateliers est d’abord assuré par la traction animale, et il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour qu’une mécanisation progressive s’enclenche au sein des ateliers grâce à des grues automotrices, des chariots élévateurs et des locotracteurs. Notons par exemple ci-dessous à Surdon la présence d’un cheval de trait à l’extrême-gauche de la photographie16 :

Aussi, la créosote, produit utilisé pour l’imprégnation des traverses, est nocive pour la santé, or il n’était pas rare que les coltineurs inhalent des vapeurs de créosote lors des opérations de chargement et de déchargement des traverses au sein des cylindres de traitement pressurisés (aussi appelés autoclaves). À l’époque, il n’y avait en effet pas de protections particulières destinées aux voies respiratoires des manutentionnaires.

Groupe de manutentionnaires installant des autoclaves servant à imprégner de créosote les traverses, atelier de Biars-sur-Cère, 1952 ou 195317.

À l’instar des autres ensembles ferroviaires du début XXe siècle, les ateliers accueillent à quelques centaines de mètres une cité cheminote entièrement dédiée aux ouvriers des ateliers et à leurs familles, créant ainsi un écosystème cheminot, à l’instar des cités-jardins minières du Nord-Pas-de-Calais ou de Grande-Bretagne.            

Ainsi à Surdon en 1965, la cité ouvrière est à 400 mètres de la gare et comprend un centre social, un terrain de sport, un groupe scolaire ainsi que 75 logements18 :


La prochaine note clôturera ce dossier consacré à l’aspect historique et technique du créosotage, en s’intéressant à la créosote en elle-même ainsi qu’aux différents procédés utilisés (Bethell et Rüping, entre autres).

  1. Danglos, Thierry. « L’atelier de créosotage de Surdon » [en ligne], site Argentan Web Ferroviaire []
  2. Service éducatif et culturel des musées de Mulhouse. « Les traverses », 2001, p.5. []
  3. Chevalier, P. « Doctrine de la S.N.C.F. en ce qui concerne l’emploi des divers types de traverses », Revue Générale des Chemins de Fer, 1971, pp.527-534 []
  4. Danglos, Thierry. « L’atelier de créosotage de Surdon » [en ligne], site Argentan Web Ferroviaire []
  5. Les piles de stockage étant constituées d’une seule essence de bois. []
  6. Alias, Jean. op.cit, p.185. []
  7. Camus, C. op.cit, p.8. []
  8. Danglos, Thierry, op.cit. []
  9. Poitou, Philippe, (c) Inventaire général Région Midi-Pyrénées, 2012 []
  10. Poupard, Laurent (c) Région Franche-Comté, Inventaire du patrimoine, 2004. []
  11. Gallas, Alain. « La fabrication des traverses. Visite de l’établissement industriel de l’équipement de Bretenoux-Biars (Lot) » [en ligne], site Ptitrain, 2004. []
  12. L’Union Internationale des Chemins de fer (UIC) a justement été créé en 1922 dans un but d’uniformisation des voies et du transport ferroviaire en Europe. []
  13. Lorsque les deux rails sont écartés d’un mètre, on parle de voie métrique. Lorsque ceux-ci sont écartés de 1,435 mètres (soit quatre pieds huit pouces et demi), on parle de voie normale ou d’écartement Stephenson, du nom de George Stephenson, l’un des pères fondateurs du chemin de fer à vapeur ayant créé cet écartement dorénavant adopté par plus de la moitié des lignes dans le monde. []
  14. Camus, C. op.cit, p.8. []
  15. Guiochet, Marc (reproduction), (c) Inventaire général Région Midi-Pyrénées ; (c) Conseil général du Lot. []
  16. Danglos, Thierry, op.cit. []
  17. Guiochet, Marc (reproduction), (c) Inventaire général Région Midi-Pyrénées ; (c) Conseil général du Lot. []
  18. Danglos, Thierry, op. cit. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Romain Sanchez (4 janvier 2021). Le traitement des traverses (2/3). Train et écologie, XIXe-XXIe siècles. Consulté le 15 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/ut92


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4 réponses

  1. Beynat - Vray dit :

    Bonjour, je suis étonnée que vous ne citiez pas l’usine de mon grand-père, Louis-Jean Beynat qui avait créé une usine de créosotage des traverses à Couzon au Mont d’Or dans le Rhône : les établissements Beynat. L’usine a fermé en 1965.

    • Romain Sanchez dit :

      Bonjour, en effet je n’ai pas cité cette usine car la source utilisée pour ce document en ce qui concerne les usines de créosotage pour la SNCF date de 1971, soit après la fermeture du site que vous mentionnez. Toutefois, je vous remercie grandement pour votre commentaire qui vient dorénavant enrichir cette page !
      En vous souhaitant une excellente journée,
      Cordialement

  2. Orgue dit :

    Bonjour,
    un plaisir pour moi de vous lire très interessant, je suis de Laval de Cère et connais l’usine de créosote et l’histoire du chemin de fer dans les gorges.
    Je réalise un livre sur les gorges de la Cère.
    J’ai de nombreuses cartes postales mais aucune de l’usine de Biars, mais je n’ai jamais réussi a me procurer une photo ancienne de l’usine qui en 1914-1918 appartenait à la compagnie d’Orléans
    Si vous avez une piste pour moi ce serait un garnd plaisir pour moi.
    Cordialement

    • Romain Sanchez dit :

      Je n’ai – personnellement parlant – pas de piste qui me vient à l’esprit, mais je vous invite à consulter les documents disponibles au sein du centre de documentation de notre association, Rails & histoire, sur le site https://ahicf.centredoc.fr/
      Peut-être avons-nous dans nos fonds des documents qui pourraient correspondre à votre demande.
      En vous souhaitant une excellente journée,
      Cordialement

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